Mots à propos d'un clip : Comme Papa de Vianney Sotès
- Steve Zébina
- 22 août 2024
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 1 avr.
Nous sommes en permanence ballotés entre une profusion d’images au contenu déclaratif avec peu de place pour l’imaginaire et la réflexion. Aussi, chaque occasion de nous confronter à une production visuelle est une possibilité de réfléchir aux enjeux esthétiques du cinéma et de l’audiovisuel caribéen.
“Audiovisuel”, le mot est lâché. C’est dans un clip de l’artiste Paille que s’enracine le point de départ de notre réflexion sur la représentation. Ce film, réalisé par Vianney Sotès, interroge la manière dont la sexualité et les corps sont représentés dans nos images. Le cinéma est un sport de combat, et ce réalisateur n’a pas peur de s’engager. Il a su aborder des sujets complexes et avoir un regard d'une certaine justesse, comme on peut le voir dans ses œuvres telles que Scolopendres et Papillons, Amazones, ou encore L'art de revivre. Mais dans Comme Papa, cette justesse s'exprime par la forme.
Dans son titre, Paille revendique une légèreté, refusant de se transformer en sociologue des problématiques sociales et culturelles. Il cherche à rompre avec les représentations traditionnelles de l’amour et de la sexualité. À première vue, le récit peut sembler réducteur, une énième variation grivoise des rapports entre les sexes, ignorant les questions de genre et de domination masculine. Pourtant, le clip révèle un second degré plus subtil caractéristique de Paille. Un artiste engagé,qui laisse deviner que ce sous-texte est intentionnel.
Ce petit film se déroule dans un décor unique et se concentre exclusivement sur le désir et l’acte sexuel. Il n’y a là aucune ambition de raconter une histoire. Il n’y a ni intrigue secondaire, ni contextualisation sociale : seul le plaisir est mis en avant. Dans cette relation hétérosexuelle, la femme occupe le premier plan, tant sur le plan figuré que littéral. L’homme, quant à lui, devient peu à peu l’objet du désir féminin, ce qui se confirme à la fin par un regard caméra. Sotès joue avec les codes du soft-porn, usant de gros plans et de longs plans-séquences, sans jamais y tomber.
Cette œuvre de trois minutes s’inscrit dans une tradition de vidéos musicales subversives qui jalonnent l’histoire du genre, de China Girl de David Bowie, réalisé par Abel Ferrara, à celles de Romain Gavras. Bien que destiné à promouvoir une chanson, ce clip s’impose comme un espace d’expérimentation et de provocation visuelle. Comme Papa actualise cette tradition.
Dès le générique, qui fait immédiatement référence au 7e art, on pense à Gaspar Noé et à son film Love pour son approche sexuelle sulfureuse, mais aussi à Climax pour son abstraction. Ce choix de référence n’est pas innocent. Noé a fait du rapport aux corps l’épicentre de son cinéma. Violentés, épuisés, ses corps envahissent l’écran pour saisir la capacité du cinéma à capter ces moments, révélant ainsi son pouvoir.
Le réalisateur fait le choix de deux acteurs issus du cinéma porno ou érotique
Le réalisateur fait un choix audacieux en optant pour deux acteurs issus du cinéma pornographique ou érotique. Leur présence et leur attitude face à la caméra évoquent directement cette esthétique. On pense à Morgan Simon qui, dans son court métrage "Plaisir Fantôme", filmait avec une grande tendresse la star du porno Anna Polina.. Sotès, sans aller aussi loin, montre une fascination pour ces corps, moins normés que ceux que l’on voit habituellement dans les clips : pilosité, vergetures... des corps réels. Cette approche révèle une prise de position esthétique, et indéniablement politique.
Le cinéphile remarquera des clins d’œil au 7e art, comme la typographie des titres, qui évoque un célèbre réalisateur suisse. Mais ce clip renvoie aussi aux images omniprésentes sur les réseaux sociaux, consommées par un vaste public. Paille joue avec ces codes, et sa musique, associée à ce film, confirme son talent d’artiste à la fois "politiquement correct" et rebelle, créant un oxymore qui confère au clip une dimension ironique.
L’œuvre, en apparence sulfureuse, acquiert ainsi une portée sociale, nous confrontant à la circulation des images et à ce qu’elles véhiculent sur la sexualité. Ici, il ne s’agit pas d’une représentation liée à un pouvoir économique ou à un divertissement, comme c’est parfois le cas dans certains clips de dancehall, mais d’une exploration directe et frontale du sexe, dans l’intimité d’une chambre. Comment le spectateur réagira-t-il face à ces images dans ce cadre finalement inattendu ?
Aucun film martiniquais ou guadeloupéen des 10 dernières années ne comporte une vraie scène de sexe hétéro ou homosexuelle.
Il est intéressant de noter qu’aucun film martiniquais ou guadeloupéen des dix dernières années n’a osé inclure une véritable scène de sexe, hétérosexuelle ou homosexuelle. Nos œuvres sont souvent excessivement prudes. Dans les années 80, quelques scènes inspirées de clichés exotiques et publicitaires apparaissent, mais elles étaient rares et souvent maladroites, comme dans le cinéma de Christian Lara, malgré ses thèmes parfois politiques. Aujourd’hui encore, cette esthétique archaïque persiste, modernisée dans des films comme Le bonheur d’Elsa ou Mamiwata, véhiculant une représentation désuète de la femme, témoignant d’une marchandisation de nos corps, teintée de colonialisme.
Dans d’autres parties de la Caraïbe, la représentation des femmes et de la diversité du féminin est plus nuancée. En Jamaïque, par exemple, on pense à la scène de sexe dans No Place Like Home de Perry Henzell, influencée par le cinéma indépendant américain. Cuba, avec la richesse de son cinéma indépendant, explore plus ouvertement cette dimension, comme dans Melaza de Carlos Lechuga. Cependant, nous sommes encore loin de films tels que Visages de Femmes de Désiré Ecaré, qui, en 1985, capturait le plaisir féminin dans une liberté folle.
Cette absence dans le cinéma caribéen francophone constitue une terra incognita. Les explications sociologiques et historiques mériteraient d’être approfondies, mais il est certain que les corps doivent investir nos écrans et nos récits. Cela ouvrirait la voie à un cinéma davantage centré sur les sensations.
Avec Comme Papa, Vianney Sotès entrouvre une porte vers l’expression de la sensualité créole, revendiquée par Paille et que l’on espère voir plus souvent sur nos écrans.