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Brother

Réalisé par Clément Virgo, cinéaste canadien né sur l’île de la Jamaïque, ce film est l’adaptation d’un roman de David Chariandy, auteur d’origine trinidadienne. Ensemble, les deux auteurs donnent voix et chair à une histoire de fraternité et de silence, d’acceptation de l’absence et de survie, dans une société qui ne tolère les personnes noires qu’en tant que main-d’œuvre remplaçable.


Au cœur du récit, deux frères d’origine jamaïcaine tentent de trouver leur place dans le paysage froid du Canada. Francis, joué par Aaron Pierre : dur, charismatique, extraverti, et Michael, joué par Lamar Johnson, plus réservé et doux, marche dans son ombre. Le film capture les subtilités des masculinités caribéennes sous toutes leurs facettes et dans différents rôles : absente, présente, fuyante, surprotectrice, agissant au mépris de leur propre sécurité ou s’efforçant d’être des modèles. Mais jamais en les brossant dans le sens du poil. Le film est une critique de cette masculinité, et surtout des répercussions sur leur entourage.


Il nous laisse à la fin un véritable questionnement, une remise en cause de l’impact de nos actions. Mais ce n’est jamais une leçon. Jamais un sermon. Le film regarde sans juger, éclaire sans condamner. Il interroge, avec pudeur et intensité, ce que signifie être un homme, un frère, un fils, un père, dans un monde qui ne laisse pas de place à la fragilité. Une œuvre puissante et méditative, où chaque silence pèse plus que les mots, et où l’amour se dit dans les gestes, les absences, les regards. Une ode grave et lumineuse à ceux qui cherchent encore comment exister.


Le film est touchant et montre la souffrance des personnages qu’il dépeint, sans pour autant être voyeuriste. Il est aussi un hommage, profondément ancré dans les cultures caribéennes des années 90, nous emmenant dans des sound systems emblématiques de cette culture. La narration non linéaire défie les attentes. Il surprend, il retient, il révèle peu à peu ses failles, ses douleurs, ses malentendus.


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Dès la première scène, on entend un bourdonnement électrique. Un travelling arrière dévoile un parc de lignes à haute tension, un panneau de danger, puis les deux frères, au pied des pylônes. Il y a, dès le début, un double avertissement, sonore et visuel, qui annonce la vie de danger qui les attend.


— “Those cables might kill us, Francis.”
— “You hear the electric buzz louder the higher you get; but if you make it to the top, bro, you’re good.”
— “You watch me. Follow my every move.”
— “Then when you climb, go carefully.”

Ces quelques phrases confirment déjà tout : le danger latent, la volonté de s’élever, la responsabilité d’un frère face à un père absent, et la longue vie pleine de menaces qui leur fait face. Le danger, pour ces hommes noirs, est leur quotidien ; il est constant, inévitable. Et si ces jeunes hommes sont au mauvais endroit, c’est la fin. Mais il ne s’arrête pas aux corps de ces hommes. Il déborde, s’étend, marque ceux qui les aiment, ceux qui restent. Car ce sont toujours les autres — les mères, les frères, les femmes, les enfants — qui devront ramasser les morceaux, porter les silences, et assumer les fautes que ces hommes, eux, n’ont jamais su réparer.


Le film s’ouvre sur une absence : celle du père, figure fantomatique dont la disparition impose à la mère de tout endosser. Elle devient alors le pilier central, à la manière du poto mitan des sociétés caribéennes. Ferme, digne, silencieuse, elle protège tout en écrasant. Son autorité, sa force, son mutisme façonnent l’identité masculine de ses fils, bien plus que ne l’aurait fait la présence paternelle.

La masculinité, dans Brother, se construit et s’impose sous la pression constante du regard masculin. Elle naît de la rue, des injonctions viriles, des silences complices entre hommes. Autant de mécanismes qui perpétuent un modèle oppressif et destructeur.


Francis en est l’incarnation : il hante les espaces publics, s’impose dans une posture de virilité conquérante, et reproche à son cadet de ne pas s’y plier. “Man up”, répète-t-il à Michael, un ordre devenu malédiction. Car à sa mort, Francis lui lègue une double charge : celle de la protection, et celle des blessures laissées ouvertes par un père absent. Ce fardeau devient central dans la vie de Michael. Condamné à combler le vide, il tente de réparer ce qui ne peut l’être. Mais le poids est trop lourd. Il s’enferme, s’éloigne, s’isole. Le deuil est silencieux, étouffé. Même l’amour passé devient inaccessible.


Michael incarne cette masculinité mutique, prisonnière de la dureté et de la retenue. Et dans son enfermement, il entraîne les autres avec lui. Ce n’est qu’en déposant ce masque,

en lâchant le poids des injonctions, qu’il commence à se reconstruire. À travers la mémoire, la tendresse, l’écoute. Le film esquisse alors une autre voie. Un avenir possible. Celui d’une masculinité qui ne détruit plus, mais qui accueille. Qui ne se prouve pas dans la force, mais dans l’attention, l’acceptation, la capacité à aimer et à transmettre.


Les hommes, en reproduisant sans cesse des modèles de domination et de silence, deviennent leurs propres bourreaux. Cette virilité, que les hommes s’imposent entre eux, n’est pas neutre : elle écrase et elle exclut tout ce qui échappe à sa norme. En répétant les injonctions qu’il a lui-même subies, Francis participe à la chaîne de transmission d’une masculinité stérile, où l’émotion est faiblesse et l’amour un luxe.


En conclusion, Brother est une ode grave et lumineuse à ceux qui cherchent encore comment exister. Un film qui touche sans jamais être voyeur, qui confronte sans brutalité, et qui, bien après le générique, continue à résonner en nous.

Steve Zébina

Programmateur - Critique

Passionné de cinéma caribéen et coréen, programmateur du festival Cinémartinique depuis 2008, Reponsable du cinéma à Tropiques Atrium Scène nationale

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