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Tjenbé Red

Dernière mise à jour : 20 oct. 2024

Souvent j’ai tendance à comparer les cinématographies à des continents.


Les croisements, les ponts, les tectoniques, les sédiments successifs forment notre histoire avec le 7ème Art. Entre ces terres, les vagues charroient des mouvements, des formes, des envies de narrations.


Tjenbé Red débute dans l’eau, dans la mer. Son rythme nous guide tout au long du film, comme une pulsation constante. Le court-métrage semble dessiner les contours d’un cinéma en devenir, traçant sur le rivage de notre cinématographie caribéenne des propositions intéressantes.


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Au fil du récit, la simplicité et la pudeur imposent un regard juste et sincère sur la Martinique contemporaine. Le film suit le parcours du jeune Zig (un surnom qui, en créole, signifie "un ami") qui survit entre la pêche les petits larcins. Cette sincérité semble naître de la rencontre intense entre la réalisatrice et ses personnages, empreinte d’émerveillement et de tendresse. On imagine un pacte de confiance : celui de mettre le cinéma au service de leurs voix.


Pas à pas, nous suivons Zig dans son chemin semé d’embûches, un choix de point de vue qui fait toute la force du film. À travers ses tentatives de trouver des solutions, il nous entraîne dans son monde. Un univers réaliste, qui subtilement dévoile certes une classe sociale mais plus généralement une réalité des populations ultramarines francaises. Une scène marquante montre ses amis lui proposant de quitter la Martinique pour la France.La France, ce pays mythique, éloigné, parfaitement déconnecté de leur univers, et qu’on pourrait qualifier en sommes, de pays étrangers. Une solution alors extrême face à un cul de sac: le désert professionnel “au peyi” et  une précarité étouffante dont les jeunes adultes sont les premières victimes.


Mais considérer ce film comme un simple portrait social serait une grave erreur. C’est une plongée dans un langage, un rythme, une vision du monde. Ce film est une rencontre douce et tendre avec ses personnages, une empathie profonde qui nous fait ressentir, presque physiquement, le cataclysme intérieur que traverse Zig. Le récit avance inexorablement, mais la mise en scène crée un espace de liberté où la vie jaillit, que ce soit dans le regard d’un chien ou une nuit passée avec sa mère, inondant le film de l’émotion brute des personnages.


Certaines scènes ne parviennent pas toujours à atteindre la dimension dramatique notamment à cause de différences de ton dans l'interprétation. Dès que la réalisatrice établi cette relation de proximité avec les personnages, leurs corps notamment en les suivant au plus près avec sa caméra, une énergie irradie l'écran.


La première projection publique de Tjenbé Red a eu lieu en février 2022 lors de la 16e édition du Cinémartinique Festival, où il a remporté le prix du meilleur court-métrage. Quelques mois avant le festival, la Martinique avait (encore une fois) brûlé. Les Vanessa et les Zig ont été les premiers accusés. Face à cette crise,  les mots ne venaient pas et les images pour décrire cette jeunesse ont fait défaut. Leur voix ont peiné à transpercer les images de barrages et à s'inscrire au-delà du sentiment de révolte. À la télévision, ils n’avaient pas de visage, réduits à une jambe, une chaîne au cou, un visage masqué. C’est ce cinéma qui leur rend un visage, une chair, un regard. C’est à travers les pas d’un jeune homme que le cinéma nous révèle avec justesse le labyrinthe social dans lequel une grande partie de la jeunesse martiniquaise est piégée. Ce film est, sans aucun doute, politique.


Nous avons hâte de retrouver cette talentueuse réalisatrice.



 

Steve Zébina

Programmateur - Critique

Passionné de cinéma caribéen et coréen, programmateur du festival Cinémartinique depuis 2008, Reponsable du cinéma à Tropiques Atrium Scène nationale

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